Après
avoir raconté la visite que lui fit, à la
bibliothèque de l'Opéra, M.Clark, directeur
de la Société du Gramophone à Paris,
sa généreuse proposition d'offrir un appareil
et des disques enfermés dans une boite scellée
dont la clef restera dans les archives de la bibliothèque
et qu'on ouvrira dans cent ans ; après avoir énuméré
les difficultés de l'entreprise, comme exemples,
d'épargner aux disques l'action destructive du temps,
M.Charles Malherbe continue en ces termes : La science veillait,
la science représentée par un chimiste distingué,
M.Bardy, qui, s'attaquant au problème, a su le résoudre
.
Il vous intéressera de savoir que les disques sont
disposés de manière à ne pas être
en contact immédiat les uns avec les autres ; le
poids résultant de la superposition aurait pu, avec
le temps, altérer la fine gravure qui représente
ce que j'appellerai le tracé sonore, et compromettre
ainsi l'exécution future. De plus entre ces plaques
isolées, il fallait empêcher l'introduction
de l'air. L'air est l'ami de tout ce qui respire ; il est
l'ennemi de tout ce qui ne vit pas ; il est le grand destructeur
par excellence, si subtil qu'il se glisse en les coins les
plus étroits, si obstiné qu'on a beau le chasser
par la porte il trouve toujours le moyen de revenir par
la fenêtre. Il fallait donc soustraire les objets
à son action délétère, et l'on
a construit une petite boîte en cuivre, ce métal
se laissant moins pénétrer que les autres;
dans cette boîte on fait le vide, et l'on dresse contre
tout retour offensif la barrière d'une soudure. Le
précieux objet prend place dans une seconde boîte
que l'on soumet à une opération analogue,
en ayant soin que les soudures de l'une ne fassent pas vis-à-vis
aux soudures de l'autre, afin d'éviter l'action directe
de l'air, dans le cas où quelques atomes pousseraient
l'indiscrétion jusqu'à forcer la consigne
qui les éloigne. Notons aussi que les disques sont
établis avec des matières résineuses,
et que trop de sécheresse peut leur nuire ; alors
vous devinez l'action bienfaisante que doit exercer sur
eux un séjour prolongé dans les caves de l'Opéra
; la privation de lumière et d'air contribuera certes
au bon état de leur santé.
La
cave de l'Opéra
où sont ensevelis, pour cent ans, 24 disques de gramophone.
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C'est
donc ici qu'ils vont reposer pour un siècle. Entre
deux piliers, un mur a été construit et, dans
l'intervalle, des casiers métalliques ont été
disposés de manière à recevoir les
caisses de disques, à mesure qu'elles nous parviendront.
Car le généreux donateur qui a pris à
sa charge tous les frais de l'entreprise ne se contente
pas d'un premier cadeaux : il en promet d'autres ; il veut
que , lorsqu'un progrès aura été réalisé,
le témoignage en soit apporté ici, et que
ces armoires se garnissent afin d'aboutir à ces deux
résultats pour nos descendants :
1° / Montrer quel était l'un des aspects de la
musique au XXe siècle, ce que chantaient et comment
chantaient les principaux artistes de notre Opéra
;
2°/ Montrer quelle aura été la marche
ascendante d'une des inventions les plus géniales
de ce temps, en suivant, pour ainsi dire, pas à pas,
les progrès pendant une centaine d'années.
Un parchemin spécial donnera, bien entendu, la liste
détaillée de tous les morceaux contenus dans
les caisses, et toutes les indications nécessaires
pour mettre en mouvement la machine et ses accessoires,
puisque, au cours d'un si long espace de temps, bien des
détails, se seront forcément modifiés,
et il importe que les ouvriers d'alors, munis des outils
nouveaux, ne soient pas embarrassés pour manier ceux
que l'âge aura plus ou moins démodés.
A cette liste une autre sera jointe, où se liront
les noms de ceux qui ont contribué à la réussite
de l'entreprise et en deviennent les véritables parrains.
Alors, on les remerciera, comme j'ai l'honneur de les remercier
ici .
Charles
Malherbe.
Puis
M.Charles Malherbe remercia MM. Aristide Briand, alors ministre
de L'Instruction publique
Les
opérateurs disposent dans une urne, où le
vide est fait, 12 disques de gramophone.
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