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Le
Journal de Bruxelles. - Dimanche 8 mai 1912 - N° 18.
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C'est
avec un véritable sentiment de soulagement que l'on
a appris dimanche dernier que Bonnot, l'insaisissable Bonnot,
le bandit tragique dont les sinistres exploits remplissent
une année entière, avait enfin été
pris à Choisy-le-Roi, dans un garage où il venait
de s'arrêter le matin même.
Ce
garage désormais fameux, dont le souvenir restera attaché
à celui d'une capture opérée à
la suite d'un siège mené suivant toutes les
règles de l'art, est situé tout à l'extrémité
d'une avenue qu'il commande dans presque toute sa longueur,
au centre d'un vaste terrain dénudé.
Il a été construit par un millionnaire, M. Fromentin,
qui se pique d'anarchisme et accorde aux libertaires: une
hospitalité par trop écossaise, dans des villas
décorées du nom de bandits fameux.
Le garage avait été loué à un
anarchiste du nom de Dubois et c'est à ce " Compagnon
" que Bonnot, traqué sans paix ni trêve
depuis l'attentat du 24 avril, au cours duquel M. Jouin, le
sous-chef de la Sûreté, perdit, la vie; était
venu demander asile.
Cela
se passait dimanche au petit jour. Quelques instants après,
M. Guichard, chef de la Sûreté, accompagné
de quelques inspecteurs, venait frapper à la porte
du garage Fromentin.
S'attendait-il à y trouver Bonnot ? Point.
Pas
plus que M. Jouin il ne croyait devoir se trouver nez à
nez avec le bandit qu'on lui signalait partout, sans qu'il
put le saisir nulle part. Il venait aux renseignements ; il
savait que lé garage de Choisy-le-Roi était
an " nid rouge " autour duquel on lui avait signalé
des allées et venues suspectes ; il Venait voir.
Tout de suite, il fut édifié. A peine la, porte
ouverte, il vit l'anarchiste Dubois occupé à
réglée une motocyclette et celui-ci interrompu
dans sa besogne par le commandement de lever, les mains, affirma
ses sentiments libertaires par quatre coups de revolver qui
blessèrent deux agents.
La riposte fut immédiate : Dubois, doublement atteint;
en pleine poitrine, roula foudroyé sur le parquet.
Mais en même temps, un homme armé d'une carabiné
apparaissait sur une galerie qui régnait le long du
garage à la hauteur du premier étage : c'était.
Bonnot !
La
petite troupe des inspecteurs se retira en bon ordre ; tout
en surveillant les abords de la maison, elle réclama
du renfort et se mit en mesure de faire le siège de
la place.
Nous
n'avons plus à refaire ici l'histoire de ce siège
dont les moindres détails ont été racontés
par la presse quotidienne.
Voici quel en fut l'incident le plus tragique : A certain
moment, les autorités, constatant qu'elles ne gagnaient
pas de terrain et que la redoutable carabine de Bonnot tenait
en échec toutes les forces de police mobilisées,
parlèrent de faire venir une section de mitrailleuses.
Du
canon pour se rendre maître du bandit? Quand il entendit
faire cette proposition, le lieutenant Fontan, de la garde
républicaine eut un haut-le-corps et son sang, comme
il l'a dit, ne fit qu'un tour. Non, non ; l'enfumer dans sa
tanière, comme une bête immonde, soit ; le faire
sauter, lui et sa masure, comme un obstacle malfaisant, soit
encore ; mais du canon ! Et très simplement, sans se
soucier autrement du danger certain, il proposa au préfet
de police d'aller placer tout contre le garage une cartouche
de dynamite. Et tout aussi simplement, mais avec la parfaite
conscience de la noblesse de l'héroïsme qui s'offrait
à lui, le préfet de police répondit :
Allez !... Et l'on vit alors cette chose très belle
et très grande dans son apparente simplicité
: une charrette chargée de paille, conduite par le
charretier Puche, qui mérite bien que son nom ne soit
pas de sitôt oublié, fut poussée à
reculons jusque près du garage.
Le lieutenant Fontan, porteur de l'engin mortel, le suivait.
A deux pas du garage, le lieutenant se glissa sous la charrette,
fixa la cartouche de dynamite et retourna vers ses chefs,
d'un pas aussi méthodique que s'il eût défilé
à la parade. Et pourtant, il était là,
sous le canon de la carabine de Bonnot, qui d'un seul coup,
pouvait l'abattre !
Et
il fallut s'y reprendre à trois fois. Car la première
cartouche ne produisit qu'une explosion insignifiante et le
cordelet qui devait faire éclater la seconde s'éteignit.
La troisième seule produisit son effet. Un pan entier
du garage s'écroula. Et ce fut alors
La ruée folle, l'assaut furieux au repaire du bandit.
Bonnot,
frappé de sept balles, dont deux dans la tête,
portant encore la trace visible des meurtrissures qui l'avaient
atteint dans sa lutte avec M. Jouin, fut trouvé dissimulé
sous un matelas.
Sa main hésitante, à demi-paralysée par
les affres de l'agonie, brandissait encore un revolver, dont
il déchargea deux coups.
Sa bouche tordue par la souffrance vomit une dernière
injure... et ce fut tout.
Ce n'était plus qu'une misérable loque humaine,
agonisante, qu'on transporta à l' Hôtel-Dieu,
où elle expira au milieu de l'universel mépris.
Dans la tanière, dernier abri du fauve aux abois, on
découvrit un arsenal complet, des brownings, des carabines,
quatre cents cartouches... Pourquoi donc Bonnot, qui avait
rêvé de mourir dans une apothéose sanglante,
n'avait-il pas épuisé son arsenal et ses munitions
? Non : tandis que la fusillade crépitait autour de
lui et que se préparait l'explosion qui devait le mettre
à la merci des assaillants, Bonnot écrivait
! Il écrivait.
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Bonnot
assiégé par la police à Choisy-le-Roi.
/ Le
Journal de Bruxelles 1912. |
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Jules
Joseph Bonnot (1876 - 1912) est un anarchiste français.
Il fut le meneur de la « bande à Bonnot »,
un groupe illégaliste ayant multiplié les braquages
et les meurtres en 1911 et 1912.
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