Soudy
et son hôte sont amenés à Paris.
On
saisit, à la poste de Berck, une importante correspondance
adressée chez Baraille à la Villa Suzanne.
Soudy prononce d'énigmatiques paroles :
" Je ne dirai rien tant que les autres ne seront pas à
l'abri. "
" Je peux bien mourir, d'autres mourront.
"Berck-Plage, 31 mars. (Par dépêche de notre
envoyé spécial.)
-
Il serait difficile de trouver, pour se soustraire aux recherches
de la police, un endroit mieux choisi que celui qui servit ces
jours derniers de refuge à André Soudy. Imaginez
un chalet bâti au milieu des dunes, et dont on n'aperçoit
des routes voisines que la toiture, qui semble émerger
des monticules de sable. Ce chalet, connu sous le nom de "villa
Suzanne ", s'élève à proximité
du rivage de la mer, dans le quartier Terminus, qui est l'un des
moins fréquentés de Berck. André soudy recevait
là l'hospitalité d'un militant anarchiste, Barthélemy
Baraille, qui fut, vous le savez, également arrêté
hier.
Comment le bandit vint-il échouer à Berck ? Je suis
allé le demander à la femme et au frère de
son hôte. Ceux-ci, à la vérité, ne
se montrèrent guère prolixes. Comme je priai Mme
Baraille de me dire si elle avait au moins connu la présence
d'André Soudy sous son toit ?
Non, me répondit-elle. J'étais alitée, et
mon mari ne me met pas au courant de ses affaires. Quand la police
est venue perquisitionner hier, j'ai été prise d'un
saisissement tel que je me suis enfuie chez une voisine. Mme Garnier.
Un agent se lança revolver au poing, à ma poursuite.
Au moment où il allait m'atteindre je tombai en syncope,
J'eus ensuite une violente hémorragie. On du me porter
dans mon lit, et depuis je l'ai pas quitté. Y a-t-il eu
ces jours-ci un étranger chez moi, je vous répète
que je ne sais rien.
Il y a évidemment chez Mme Baraille, qui partage les convictions
révolutionnaires de son mari, un parti pris de silence,
et je n'insiste pas.
Son beau-frère, Jean-Baptiste Baraille, que la police,
hier, malmena quelque peu, ne se montra pas moins réservé.
Il me confessa cependant que le nouveau venu partageait son propre
lit et prenait ses repas à la table familiale.
Et que vous dit votre beau-frère, en vous présentant
son hôte ? Vous le nomma-t-il ? Vous fournit-il sur lui
quelques détails ?
-Nom. A une question que je lui posais, il répondit simplement
: " C'est quelqu'un qui est venu. "
-Et l'inconnu lui-même, vous fit-il quelques confidences
?
- Aucune.
- Ainsi cet homme, durant plusieurs jours, prit ses repas avec
vous, dormit à vos côtés, et il ne vous a
pas adressé la parole, et vous lui avez rien demandé
?
- Non. Il a plu à mon frère de le recevoir. Je ne
suis pas le maître ici, je n'avais rien à dire.
M.Jean
Baptiste Baraille n'est point curieux. D'autres personnes l'ont
été plus que lui, et voici les quelques renseignements
que j'ai pu recueillir sur le séjour d'André Soudy
à Berk. C'est mardi dernier que le bandit arriva à
la villa Suzanne. Son passage avait été auparavant
signalé à Etaples, puis à Paris-Plage. L'homme
paraissait souffreteux et les voisins des époux Baraille
croyaient que c'était un malade qui était venu ici
pour se soigner. Et, de fait il ne se livrait à aucun travail
et allait chaque jour faire de longues promenades au bord de la
mer.
-Vendredi dernier, il vit sur la plage la fillette des époux
Garnier, la jeune Simone. Il lia conversation avec elle, lui donna
des gâteaux et laissa échapper cette réflexion
: " Quel dommage que je ne puisse rester plus longtemps ici.
Je vais être obligé de partir. "
-Mardi Mme Garnier, de son côté, aperçut deux
fois Soudy en allant prendre des nouvelles de Mme Baraille, elle
le vit d'abord lisant dans la salle à manger, puis le lendemain,
procédant à sa toilette dans la cuisine, et les
deux fois il détourna la tête comme s'il avait voulu
n'être pas reconnu.
-Un indicateur mit, vous le savez, la Sûreté de Paris
et la Sûreté générale sur la piste
d'André Soudy. L'anarchiste criminel, ne se sentant plus
en surveillance à Berck, se disposait à partir hier
pour Amiens par le train de 2h. 40 de l'après midi. Il
allait pénétrer sur le quai de la gare et présentait
déjà son billet au contrôleur, lorsque M.Juin,
le brigadier Colmar et l'inspecteur Severt l'appréhendèrent
et le mirent incontinent dans l'impossibilité de nuire.
Soudy fut enfermé à la gendarmerie. On trouva dans
ses poches, comme le Journal la relaté, un revolver browning
chargé de balles blindées, une somme de 969 francs
dont il ne voulut pas indiquer la provenance, et un flacon contenant
du cyanure de potassium. Détail à noter : le revolver
est précisément un de ceux qui furent volés
dans le cambriolage de l'armurier de la rue La Fayette.
-A M.Juin le prisonnier déclara : - Vous avez eu de la
veine de m'avoir si facilement.
Plus tard, comme on le questionnait sur les attentats de la bande
Garnier, bonnot et consorts, il prétendit y être
complètement étranger. - D'ailleurs, a-t-il ajouté,
je ne parlerai que devant le juge d'instruction.
Enfin, au moment d'être embarqué dans le train pour
Paris, Soudy proféra ces énigmatiques paroles :
- Je ne dirai rien tant que les autres ne seront pas à
l'abri.
Barthélemy Baraille l'hôte du Bandit, habite Berck
depuis le mois d'octobre. C'est un homme d'une trentaine d'années,
imbu d'idées anarchistes. Ouvrier de la traction aux ateliers
du chemin de fer du Nord, à Anzin, il fut révoqué
à la suite de la dernière grève des cheminots.
Sa femme se fixa alors à Rambouillet, chez M.Dudrague,
tandis que lui se mit à voyager comme colleur d'affiches
au service d'une entreprise de publicité dans les gares.
Il entra ensuite comme lampiste à la compagnie du chemin
de fer d'intérêt local de Berck à Paris-Plage.
Son frère, jean-batiste, remplit sur la même ligne
les fonctions de chauffeur. C'est au dépôt de la
compagnie, à Bellevue-les-Dunes, Barthélemy Baraille
fut appréhendé, hier soir à quatre heures.
Il était occupé avec le chef de gare à revernir
un wagon de troisième classe, quand un gendarme et un agent
de la Sûreté, après l'avoir mandé,
se saisirent de lui. Il n'opposa aucune résistance, se
bornant à dire : - C'est une plaisanterie.
Interrogé par M.Juin, il déclara que Soudy, s'étant
présenté à lui comme un compagnon libertaire
et lui ayant demandé l'hospitalité, il n'avait pas
cru devoir la lui refuser.
-J'ignorais, ajoute-t-il, qu'il eût pris part aux derniers
attentats. Au surplus, si je suis anarchiste convaincu, je réprouve
avec énergie tout acte criminel. Une perquisition opérée
à la villa Suzanne a amené la découverte
d'une volumineuse correspondance et d'une grande quantité
de journaux, de brochures anarchistes. Tous ses papiers ont été
envoyés à Paris pour être soumis à
l'examen de M.Gilbert. On a également saisi un paquet et
deux valises jaunes, un pardessus de voyage de couleur grise,
un chapeau de peluche verte, le tout appartenant à Soudy.
Des
renseignements précieux
L'enquête s'est poursuivie à Berck aujourd'hui. Le
commissaire de police a saisi à la poste un certain nombre
de lettres, adressées à des noms divers, au domicile
de Baraille. Quelques-unes d'entre elles, venant de Paris, étaient,
croit-on, destinées à Soudy et contiendraient des
renseignements du plus grand intérêt. Elles ont été
expédiées par l'intermédiaire du contrôle
des recherches de la Sûreté générale
à M.Gilbert, le juge chargé d'instruire l'affaire
des bandits.-
RAOUL SABATIER.
L'arrivée
de Soudy
André
Soudy a débarqué hier matin à 4h. 15 du train
qui l'amenait de Berck. Il y avait peu de monde à l'attendre
à la gare du Nord, et six agents suffirent pour maintenir
les curieux, des journalistes, quelques voyageurs et des employés
du chemin de fer.
Soudy descendit du compartiment entre le brigadier Colmar et M.Juin.
Il ne paraissait nullement ému. Vêtu d'un pardessus
de voyage, coiffé d'une casquette anglaise, il avait l'air
presque élégant. Quoi qu'il eût les menottes
aux mains, il ne paraissait nullement gêné dans ses
mouvements ; leste, souple, il sauta sur le quai avec aisance.
Des cris hostiles s'élevèrent, un employé
du Nord, M.Jules D... exaspéré, s'élança
vers l'homme à la carabine et lui lança un coup
de poing ; très calme, Soudy para le coup d'un léger
mouvement de recul et la main indignée alla frapper l'oreille
de M.Colmar. On arrêta aussitôt le manifestant qui,
tout penaud, fut conduit au commissariat, où il se confondit
en excuses !
-Pendant cela Soudy traversait le commissariat spécial
et la cour d'arrivée qui fait face à la rue Chantilly,
il montait dans le taxi-auto 568x7, avec le commissaire Juin et
Escande, le brigadier Colmar et un inspecteur, et bientôt
le véhicule filait rapidement vers le quai des Orfèvres.
Soudy
à la Sûreté
Soudy
fut conduit dans le bureau de M.Guichard, où il déclina
son état civil. On voulut le questionner. Il ne répondit
que d'une façon évasive. Puis il murmura soudain
ces paroles étranges :
-Je peux mourir, d'autres mourront.
Après les formalités, il fut conduit au Dépôt,
où le docteur Paul vint l'examiner. Le médecin légiste
a sur le poignet gauche de l'inculpé une légère
éraflure dont la provenance n'a pas été expliquée.
Une faible poussée de tuberculose a en outre été
constatée chez André Soudy, qui, cependant, à
l'heure actuelle se trouve encore dans un état de santé
relativement satisfaisant.
A midi, Soudy a été conduit à la prison à
la prison de la Santé, où il a été
écroué.
M.Juin raconte son voyage
M.Jouin,
le sous-chef de la Sûreté, avant d'aller prendre
un repos bien gagné, car il avait passé deux nuits
en chemin de fer, a bien voulu donner quelques brèves explications
sur la façon dont il a capturé Soudy. Accompagné
de l'inspecteur Sevestre, le magistrat s'était, comme il
le dit "fait en fourneau ", c'est-à-dire qu'il
s'était déguisé en cheminot, puis tous deux
avaient pris le chemin des Dunes, où, dans un endroit isolé,
se trouve la villa Suzanne.
Couchés dans le sable, le sous-chef de la Sûreté
et son compagnon exploraient des yeux les alentours.
Soudain, un homme sortit de la villa, le visage enveloppé
dans un ample cache-nez. Soudy, car c'était lui, jeta un
regard circulaire autour de lui, et, d'un pas tranquille, se mit
en marche.
M.Juin et l'inspecteur le laissèrent passer et gagner ainsi
près d'un kilomètre d'avance. Après quoi,
ils le filèrent.
Soudy gagna la ville, fit des détours nombreux et se dirigea
finalement chez un médecin : il avait en effet pour mission
de prévenir le patricien que la femme de son ami Baraille
était malade. Cette commission faite, il gagna la gare.
M.Juin le laissa prendre son billet. En route, il avait rejoint
M.Escandre et l'inspecteur principal Colmar. Au moment où
Soudy causait avec la marchande de journaux, le magistrat lui
fit le coup "de la ceinture ", en même temps M.Colmar
lui paralysait le bras. Le malfaiteur fut en un instant réduit
à l'impuissance. Il était temps, car en quelques
secondes Soudy avait recouvré tout son sang-froid, et c'est
sans trouble qu'il dit à M.Juin : " Vous avez de la
chance, sans ça je vous brûlais et je me suicidais
ensuite "
Les
dix derniers mois de Soudy
Soudy
pendant ces deux derniers mois, et a établi qu'après
avoir purgé Le service de la Sûreté a reconstitué
l'emploi du temps de quatre mois de prison à Fresnes, il
était resté deux mois à l'hôpital ..Tenon
? , puis avait fait une convalescence de deux mois à l'asile
de Charenton-Saint-Maurice. Après quoi il avait passé
deux autres mois au sanatorium d'Angicourt.
L'hôte
de Soudy amené à Paris
Baraille
l'employé du chemin de fer de Berck, qui avait donné
asile à Soudy dans la villa Suzanne, où il habite,
avait été, samedi soir, conduit à Montreuil-sur-Mer,
où il passa la nuit à la prison. Hier matin après
avoir été sommairement interrogé par le juge
d'instruction de Montreuil, il a été remis à
deux agents de la Sûreté générale,
qui avaient la mission de le conduire à Paris.
Baraille est arrivé à la gare du Nord à six
heures quinze. Son passage au milieu de la foule n'a pas été
remarqué et vingt minutes après, il était
remis entre les mains de M. Xavier Guichard, qui le fit aussitôt
conduire au Dépôt.
Baraille sera interrogé ce matin par M. Gilbert, juge d'instruction.
Au
parquet
Hier matin, dès la première heure, les magistrats
de l'instruction étaient à leur poste, prêts
pour l'interrogatoire d'André Soudy. Celui-ci fut amené
de la Sûreté au cabinet de M. Gilbert. Le juge se
borna à constater son identité et à lui signifier
qu'il l'inculpait de vol et d'association de malfaiteurs.
Soudy entendit sans sourciller les paroles du magistrat.
- Je m'expliquerai, se borna-t-il à répondre, en
présence de mon avocat, M. Emile Doublet.
Dans l'après-midi, une longue conférence a réuni
à nouveau MM.Lesscouvé, procureur de la République
; Gilbert, juge d'instruction ; Guichard, chef de la Sûreté,
et le substitut Sautrand. Les détails de la procédure
à suivre à suivre envers les criminels et leurs
complices ont été envisagées à l'effet
d'assurer une prompte répression des crimes commis et de
prévenir le renouvellement de semblables attentats.
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