Le Magasin Pittoresque./1849 - page 400 et 401.

Les deux destinées

 

Les deux destinées sont là sous nos yeux, développées en tableaux successifs. D'un côté vous avez le sort de l'ouvrier laborieux ; de l'autre, celui du débauché. Ici, le travail en famille, le repos du foyer, la joie du salaire légitimement conquis ; là, l'oisiveté des cabarets, la femme et les enfants que la fièvre de la faim dévore, et, pour réveil inévitable d'un rêve tourmenté, la prison !

Quant à l'origine des deux existences opposées, l'artiste vous l'a expliquée suffisamment quand il a écrit au-dessous de celle qui épouvante : L'esprit au désordre ; au-dessous de celle qui console : Le cœur à l'ouvrage !
Tout est, en effet, dans ces deux mots.


L'homme que vous voyer là, qui oublie les devoirs sérieux pour les turbulentes jouissance, qui va traversant les vices d'une course folle, et qui arrivera tôt ou tard au crime, c'est l'Esprit qui l'emporte, le même Esprit insatiable et sans frein qui perdit Faust, L'Esprit qui tenta le Christ sur la montagne. Génies sublimes et âmes grossières sont également exposés à ses fascinations. Resserré dans les humbles nécessités de la vie, on s'y trouve trop à l'étroit, on brise la chaîne des habitudes journalières, on monte la fantaisie comme un cheval sauvage sur lequel on galope au hasard, et quand on veut l'arrêter il est trop tard ; fleurs et moissons, tout a été brisé sous les pieds !
Voyez, au contraire, celui que le cœur a conduit. Il a repoussé les curiosités dangereuses, les audacieux caprices ; il a aimé, et tout, dans sa vie, s 'est subordonné à cet amour.
Comme le ruisseau qui suit la pente, il est allé là où était le bonheur de ceux qu'il devait protéger : il a accepté pour eux la fatigue, il a supporté l'ennui, et, insensiblement, ennuis et fatigues se sont dissipés ; le devoir qui lui pesait comme un joug l'a orné comme une couronne.