(Cercle
magique tracé par un sorcier alsacien en 1601.)
On
a découvert récemment, parmi les nombreux dossiers de
procédure criminelle conservés dans les archives du Haut-Rhin,
une lettre fort curieuse portant la date de 1601 ; elle est écrite
en allemand par Jean Habiszreuttinger, maître d'école à
Ohenheim, et adressée à Jacques de Rathsamhausen, seigneur
d'Ehenweihr. Un dessin figurant un cercle magique accompagne cette lettre.
"
Au noble et gracieux seigneur Jacques de Rathsamhausen, seigneur d'Ehenweihr.
" Que mes services soient le sûr garant de mon attachement
à votre personne, noble et puissant seigneur.
" La chronique nous enseigne que nos pères vénéraient
les talents surnaturels, comme ils honoraient l'astronomie et la chevalerie,
et qu'il y en eu même qui, pour obtenir ces talents, livraient
à Satan leur corps et leur âme, et soumis à son
empire devenaient ses véritables écoliers (schueler).
" Dans ma jeunesse, un penchant mystérieux, je ne sais quelle
passion, m'entraîna vers cette étude particulière.
Il y a sept ans, c'était le 23 janvier de l'année 1594,
je m'adressai à l'esprit malin et le priai de m'instruire dans
son art en m'engageant de le servir et de lui être soumis.
" Comme mon temps d'apprentissage vient d'expirer le printemps
dernier, et que l'esprit malin, suivant le pacte que j'avais fait avec
lui, sera sous ma puissance pendant le restant de mes jours, et qu'il
m'obéira comme je lui ai obéi moi-même pendant sept
ans, j'ai résolu de faire profiter les autres de mon art et de
faire mes preuves aux yeux de tout le monde.
" Votre grâce sait sans doute que deux de vos sujettes sont
affectées depuis plusieurs années de maladies graves et
douloureuses, et que tous les remèdes originaires sont restés
sans effet jusqu'ici. Il s'agit donc de savoir si la maladie est naturelle
ou si elle ne l'est pas, selon qu'elle provient de Dieu ou de Satan
; car si elle est surnaturelle, elle devra être traitée
par des remèdes surnaturels, et alors je m'engage de guérir
ces femmes. C'est pourquoi je prends la liberté de supplier votre
grâce de m'accorder la permission, contre une droit de 3 couronnes
d'or, de donner une preuve évidente de mes connaissances dans
l'art magique ; et que l'on ne doute pas de mon pouvoir, car tout le
monde pourra se convaincre que, depuis le Christ, jamais miracle pareil
n'aura été connu sur la terre.
" Je tracerai un cercle près de la commune de Grussenheim
soumise à votre juridiction, à l'endroit où tant
d'hommes d'armes ont été taillés en pièces
; je placerai au milieu un cercueil qui figurera le cimetière,
le tombe des martyrs ; aux quatre côtés se placeront les
quatre fléaux avec leurs attributs, et armés de verges
; le docteur Jacques de Grussenheim remplira le rôle de la Mort
; la femme Kilber dudit lieu représentera la Famine ; Suzanne
le Française fera la Peste, et moi, je me charge du rôle
de la Guerre. Personne ne devra entrer dans le cercle, excepté
les six personnes qui y sont figurées, et leurs noms devront
rester cachés à tout le monde.
" Le matin, une procession solennelle, avec croix et bannières,
fera le tour du cercle, et on lira des évangiles devant chacun
des quatre fléaux. Peut-être le curé de Grussenheim
s'y refusera-t-il ; il dira qu'il ne peut pas se prêter à
des uvres de Satan. Mais qu'il sache que ce que j'ai à
faire voir ne doit servir qu'à la glorification du nom de Dieu,
et qu'il renouvelle par mes mains le miracle de Moïse et du Christ,
afin de réveiller les hommes de leur apathie, ce que doivent
représenter les verges des quatre fléaux qui doivent châtier
l'univers. Que l'on fasse donc ce que je demande, et je me charge du
reste.
" Pour prouver, mon gracieux seigneur, qu'il n'y a pas de charlatanisme
dans mes actes, je consens à être à être brûlé
vif par le bourreau et à encourir la réprobation du peuple,
si mes paroles sont fausses, et si je réussis pas dans mon épreuve.
"Donné
àOhnenheim, le jour de la Saint-André de l'année
1601.
"De
notre grâce, le très respectueux et obéissant sujet.
"Signé,
Jean Habiszreuttinger, maître d'école."
L'on
ne voit pas si l'épreuve eu lieu et si elle a réussi:
il est probable que le seigneur et le curé ne l'avaient point
autorisée. Quoi qu'il en ait été, le sorcier fut
incarcéré à Strasbourg, où il paya pour
sans doute de sa vie son impudente proposition(*).
*
Nous devons la communication de ce document curieux à M.J.Dietrich,
archiviste-adjoint à Colmar.